lundi 27 février 2017

FORTE

Elle s'est assise dans la voiture en claquant violemment la portière.

"Merde, merde, merde et re-MERDE, je suis vraiment une grosse CONNE" a-t-elle hurlé dans l'habitacle : elle n'était capable d'aucune autre formulation, moins vulgaire, à son encontre; exaspérée par son propre comportement, elle a posé les mains et laissé tomber son front sur le volant. 

"Franchement, pourquoi ne suis-je pas foutue de respecter des règles pourtant simples, carrément simplissimes, pourquoi ?"

Et elle de les égrener comme un mantra, les unes après les autres, en boucle, en mettant le moteur en marche.

"Pas de rencart avec les mecs du boulot", chauffage.
"Pas de rencart avec les mecs mariés", ceinture.
"Pas de rencart avec les ex-maris des copines", radio.
"Pas de rencart avec les mecs impossibles", clignotant.
"Pas de...".

Après un rapide coup d'oeil dans le rétroviseur, elle s'est engagée sur la route, souriant malgré tout à l'évocation de la dernière fraction de seconde qu'elle venait de vivre.

Trois bises polies, un dernier sourire échangé. Sincère pour lui, troublé pour elle : il avait suffi de cet instant où il s'était approché pour que son imagination s'emballe au contact de sa joue contre la sienne : "dommage que mon sens de la prudence ne soit pas aussi aiguisé que mes images mentales".

Une nouvelle fois, avec force et moult détails, comme souvent, elle avait eu une sorte de "flash" - "si je raconte ça à un psy, je suis bonne pour la camisole de force" a-t-elle maugréé en accélérant encore, "ce n'est pas pour rien que j'ai opté pour la médecine somatique" -.

Ainsi, lorsqu'elle avait humé furtivement son odeur, l'image de lui la plaquant violemment contre le mur du tribunal - ça ne s'invente pas, sa voiture était garée contre la plus haute instance judiciaire du pays -, son bassin se collant contre le sien, sa cuisse se glissant entre ses jambes l'avait électrisée. Elle avait même eu le temps de sentir, d'imaginer à tout le moins, son sexe, gonflé, dressé, pressé violemment contre son aine. Elle avait aussi cru ses mains posées autour de ses reins et avait rêvé, à la vitesse de l'éclair, de sa langue cherchant avidement la sienne, la bousculant, traduisant la force de son désir.

"Bon vol, demain midi".
"Merci, bonne rentrée".

Gnagnagnagna... Franchement, c'est où, Malabo, hein ? Comme si quelqu'un savait où se trouve cette putain de capitale, comment si quelqu'un en avait quelque chose à secouer des plateformes pétrolières aux larges des côtes d'un sinistre pays africain !

Soupir... il y avait bien quelqu'un : lui. Ce qui le classait irrémédiablement dans la catégorie "mecs impossibles", mention spéciale "à éviter à n'importe quel prix, au besoin en allant souper avec l'administrateur de l'hôpital, pourtant réputé pour n'avoir aucun sens de l'humour et les mains moites".

"Bon vol, bon débarras, oui !" a-t-elle pensé en s'engageant sur l'autoroute déserte à cette heure de la nuit.

Arrivée à la maison, elle s'est plantée devant le miroir de la salle de bain en grommelant : "ma vie est tellement trépidante que là, je vais étrenner ma nouvelle crème contour des yeux, me passer le fil dentaire et aller au lit, merveilleux, vraiment merveilleux !".

N'empêche, elle esquisse quelques petits pas de danse, ridicules, en se brossant les cheveux, parce que la soirée a été délicieuse et qu'elle aime la musique qui passe à la radio; de l'autre main, elle ouvre l'atlas toujours posé sur le  bord de la baignoire "ah, quand même, c'est super loin, la Guinée équatoriale !"

En réalité, que ce soit proche ou pas n'a pas d'importance: "il sera absent durant six semaines et d'ici là, j'aurai eu le temps de me transformer encore davantage en pomme blette et ridée, sauf à trouver très vite un homme qui dispose de suffisamment de connaissances en anatomie pour me procurer une certaine détente du périnée et régions avoisinantes". Probabilité d'une telle aubaine ? Nulle, son emploi ne lui laissant guère de répit, ceci depuis des mois.

Elle soupire, programme son téléphone pour qu'il la réveille le lendemain à 6.45 et c'est au moment où elle s'apprête à éteindre la lumière qu'un message whatsapp apparaît sur son écran.

"Je penserai à toi, demain soir, dans ma cabine, seul sur une banette trop petite".

Elle se saisit prestement de son téléphone, le coup du loup solitaire, elle connaît, elle a déjà donné, merci !

"Bien sûr, bien sûr... Dors bien !" rédige-t-elle presque par réflexe.

"Il est con ou quoi, ce mec ? Il va me lâcher, là ?" se demande-t-elle alors qu'arrive déjà  le message suivant.

"J'ai passé une soirée vraiment agréable, tu es définitivement une femme fascinante : jamais otoscopie, examen neurologique et du fond de l'oeil ne furent plus agréables".

"Même pas original dans ses compliments, c'est dommage, il est plutôt beau gosse, il pourrait faire preuve d'un peu plus d'audace, ça me changerait" se dit-elle en se grattant malgré tout la tête : envoyer paître un homme par lequel on avait envisagé, à tout le moins mentalement, de se faire sauter une demi-heure auparavant sur le capot froid d'une voiture n'est pas un exercice facile alors qu'on a l'entrejambe brûlant et le corps en feu.

Un brin flattée quand même, elle répond par une banalité tout en redescendant à la cuisine pour se préparer une tisane : le souper était vraiment trop salé, n'en déplaise au chef étoilé.

Cinq ou six messages plus tard, elle croit percevoir soudainement un changement dans le ton, une légère modification de l'ambiance jusqu'alors très convenue et convenable.

"Au lieu d'être devant une valise à boucler, j'aimerais être en train de la défaire pour te retrouver".

Elle sourit : elle sait déjà qu'elle va succomber à l'envie de jouer s'il devait avoir le verbe assez leste et le sens de la répartie : elle utilise l'émoticône de l'ange à l'apparence innocente à côté duquel elle écrit rapidement "et que ferions-nous dans ce cas ?"

"S'il me répond regarder les photos enregistrées à 1'870 mètres de profondeur pour préparer la suite du chantier, je l'atomise".

"Une femme spécialisée en médecine hyperbare doit être douée pour faire baisser la pression, non ?"

Elle éclate de rire, son téléphone posé à côté de la bouilloire : "il me cherche, là ou je n'y connais rien aux hommes ! Alors go !" lance-t-elle face à l'évier tout en faisant couler de l'eau chaude dans sa tasse.

"Voyons, tu as une fausse image de moi, je suis sérieuse, pas le genre de femme qui pense constamment au sexe" écrit-elle une fois de retour dans sa chambre à coucher et son thé fumant posé sur sa table de nuit.

"Et quand bien même tu serais déjà de retour, là, prends note que je ne suis pas non plus le type de nana qui serait capable d'aller chez un mec, pour entrer sans sonner, pour l'embrasser sans même dire bonjour, pour ouvrir dans le même mouvement les boutons de son pantalon, pour engouffrer sa main dans son slip".

Elle envoie le message, curieuse de savoir comment il réagira face à un whatsapp aussi direct.

"Dommage, elle me plairait, cette femme".

"Tu voudrais qu'elle fasse quoi, cette femme, ensuite ?"

"Qu'elle prenne mon sexe dans sa main, qu'elle le caresse jusqu'à ce que l'érection devienne douloureuse tout en continuant à m'embrasser, fort, et tant pis si j'ai le support en métal d'un porte-manteau planté entre les omoplates".

"Ne rêve pas, cette femme, elle ne ferait pas jouir un homme aussi vite, elle aurait le sens de la torture délicieuse".

Elle est tellement absorbée par ces messages qui fusent dans la nuit qu'elle en a oublié de retirer la boule qui se trouve encore dans sa tasse : "zut, il est trop fort déjà".

"L'ennui, vois-tu, c'est que cette femme, ça ne peut pas être moi : mon fantasme, c'est de m'envoyer en l'air non pas dans un avion - je serais devenue hôtesse de l'air sinon - mais dans mon bureau, si seulement il avait été assez bien rangé pour pouvoir m'y asseoir dessus après avoir enlevé ma petite culotte".

"Moi, je suis le genre de gars qui sait ranger très rapidement un bureau".

"Dans ce cas, je pourrais alors considérer relever ma jupe, planter mes talons sur la table, écarter les genoux".

"Je prendrais le siège pour m'asseoir face à toi".
"Tsss tsss tsss... Reste d'abord à distance : il y a des choses que je fais très bien seule".

Elle réalise qu'elle est cramponnée à son téléphone, que son trouble va grandissant et qu'elle n'a plus du tout sommeil : elle aura mauvaise mine demain matin à la consultation, tant pis, elle continue.

"Que fais-tu très bien seule ?"
"Ecarter de ma main droite mes lèvres, poser mon index gauche sur mon clitoris".

"J'ai chaud... très chaud" lit-elle comme réponse à son message.
"J'espère bien que tu as chaud : moi aussi" pense-t-elle en riant intérieurement.

"Tu es encore habillé ?" ne peut-elle s'empêcher de demander.
"Oui mais mon jeans est beaucoup trop serré".
"Ouvre-le !"

L'écran reste muet quelques secondes.

"Caresse-toi encore" lui répond-il alors.
 "Oh, tu n'as pas vu que ma chaise de bureau est à roulettes ? Tu ne voudrais pas  glisser jusqu'à moi maintenant ? Poser ta main à l'intérieur de ma cuisse, caresser mon sexe avec ta langue ? Me humer, me sentir, me happer, me sucer ? Enfoncer en même temps tes doigts dans ma chatte, d'abord doucement puis plus fort, toujours plus profondément ?"

La réponse est laconique mais elle lui fait l'effet d'une décharge : "oui... je bande".

Elle esquive par une petite phrase : "l'ennui, vois-tu, c'est qu'au sein de l'équipe du CHU, je jouis.... de la considération de mes collègues".

Sa réponse l'excite encore davantage : "ma langue ne pourrait-elle pas, avec mes doigts, te faire jouir d'abord et tant pis pour la considération professionnelle pendant un moment ?"

Elle jure à nouveau, comme dans la voiture - l'élégance incarnée - MERDE ! Elle donnerait en effet cher pour qu'il soit vraiment devant elle, presque nu, pour presser de ses deux mains sa tête contre sa fente : elle sent son sexe devenir encore plus chaud, encore plus humide.

Elle gémit doucement en se caressant, posant son téléphone à côté d'elle, sur son deuxième oreiller : son désir est déjà tellement fort qu'elle n'a besoin que de peu de temps pour jouir, violemment, sous sa main experte.

L'écran est resté noir, pas de message de sa part "toi, je sais ce que tu fais" est sa première pensée : "je vais te faciliter la tâche".

"Me faire jouir serait en effet moins difficile qu'obtenir la considération d'une équipe médicale : c'est déjà chose faite" écrit-elle malicieusement.  

"Je pourrais maintenant me mettre à genoux devant toi pour faire entrer profondément dans ma bouche ton sexe dur".

"Le lécher ensuite, glisser ton gland entre mes dents légèrement serrées : ma main juste en dessous accompagnerait le mouvement de mes lèvres".

Elle envoie des messages tapés à la hâte, n'attendant pas de réponse : elle devine qu'il se masturbe en la lisant.

"Ta respiration serait de plus en plus rapide, tes mains seraient posées sur ma tête".

"T'entendre gémir de plus en plus fort me ferait ralentir : pas encore".

Elle laisse passer quelques secondes puis reprend : "je frotterais ton dard entre mes seins".

Elle écrit le prochain message moins vite et sourit en scrutant son téléphone : elle connaît assez les hommes pour savoir qu'il n'est pas loin de la jouissance à son tour.

"Ton corps tout entier se raidit, tu fais à nouveau glisser ton sexe dans ma bouche, tu prends ma main pour la glisser sous tes couilles, ton bassin bouge de plus en plus vite, ta respiration est saccadée : je sais que tu vas exploser bientôt".

Elle s'arrête à nouveau : "je vais devoir relire mon code de déontologie, demain, je doute qu'il autorise l'envoi de sextos à un patient venu pour un électrocardiogramme avant un départ à l'étranger pour le compte d'une entreprise de travaux sous-marins".

"Ton corps se tend dans un puissant sursaut et au moment où j'introduis mon doigt dans ton anus, tu jouis, abondamment, dans ma bouche, sur mes lèvres, sur mon visage".

Elle s'arrête et attend.

Moins d'une minute plus tard, elle voit qu'il est en train de taper un message : "à mon retour, j'espère pouvoir te pénétrer et te faire jouir avec ma queue".

"Aucune chance : je serai en Turquie, à Urfa, une mission pour MSF" écrit-elle, lucide à nouveau.

Elle soupire en recevant sa réaction spontanée "j'avais espéré..." : "oui, moi aussi" finit-elle par s'admettre, se contentant de répondre sobrement "une vie entre deux avions est forcément solitaire", sans préciser à laquelle de ces vies elle pense.

Les derniers messages sont empreints d'une forme de douceur que rien ne laissait présager à la lecture des propos jusqu'alors crus : de toute évidence, un corps soulagé ouvre une fenêtre aux émotions, le temps de quelques minutes.

Elle soupire une nouvelle fois sachant les premières lueurs du jour proches.

Elle éteint son téléphone, le branche à la prise à côté d'elle et le dépose sur la table de nuit, devant une tisane devenue tiède : il aura fallu une guerre en Syrie pour qu'elle n'enfreigne pas la règle no 5 "pas de deuxième rencart en cas de violation d'une des quatre premières".

 

4 commentaires:

  1. Je constate donc que les assiettes en peinture sur porcelaine soulèvent plus de réactions que les récits érotiques ;-)

    Merci pour vos messages privés, à bientôt pour d'autres tribulations.

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    1. Désolé, Madame Poppins. Certains jours les choses ne vont pas comme elle devraient.
      Quand j'ai lu le titre du récit du jour j'ai su que ce serait chaud. Je n'ai pas été déçu. Encore une petite histoire bien épicée, racontée avec humour. Garde tout ça, je ne m'en lasse pas.

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  2. Parfois les désagréments finissent par apporter des compensations. Le job en cours a pris un peu de retard mais un autre a vu le jour.

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  3. Merci, kris, je reviens à toi bientôt !

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